Du terroir au Nike air, de la vinif’ à Booba, dans la brume du Beaujolais nous sommes partis à la rencontre de celui qu’on considère comme un Ovni dans le monde viticole. Une rencontre rythmée entre anecdotes drôles et souvenirs émouvants.
12h08: Une petite boule au ventre qui ressemble à ce que je ressentais lorsque j’attendais la rentrée sur scène de Patrick Bruel quand j’avais 15 ans surement liée à l’impatience de rencontrer non mon idole de jeunesse mais une Rockstar du vin, je retrouve mon acolyte du jour Benjamin qui en plus de nous mener le ventre vide dans cette contrée lointaine nommée le Beaujolais va immortaliser cette rencontre de son objectif d’expert. Au moins en sa présence je saurais me retenir et ne pas me jeter au cou de David Large ce qui ne fût pas le cas à l’époque de ma Bruelmania.
14h12: Toujours le ventre vide nous arrivons dans le petit village de Montmelas St Sorlin … 25 ans que je n’ai pas mis les pieds dans ce village qui est le berceau de mon amour pour le vin. Déjà 25 ans que je buvais du malibu coca avachie dans les sièges de notre squat improvisé chez mon ami fils de vigneron … Si j’avais su que le malibu coca menait au vin … Ce qui est beau avec le temps qui passe c’est qu’il y’a 25 ans je ne me souvenais pas que cette région était si belle surtout sous les nuages en automne et dans le froid. Un peu timide, voir mal à l’aise, nous allons à la rencontre de David qui tout de suite sort nous accueillir. Je m’attendais à arriver dans un domaine digne d’une rockstar mais ici pas de bling bling juste l’essentiel, un chat qui flâne dans la cour, un panier de pomme juste ramassé devant la porte et dans le fond un combi bleu marque d’un attachement à ce qui est ancien.
14h23 : Alors que je m’attendais à découvrir un chai luxueux, un caveau flambant neuf et des ouvriers attelés à la tâche de la mise en bouteille je suis surprise de rentrer dans l’intimité de ce vigneron comme dans une chambre d’un adolescent. Tout y est, les cartons entassés, les souvenirs des anciens accrochés au mur, les bouteilles sur les étagères et au milieu de tout ça la maman de David, une chambre d’adolescent je vous disais sauf que là celle-ci fait de la mise en bouteille. Tout en humilité et avec beaucoup de pudeur elle nous raconte son arrivée du Nord dans le Beaujolais. Une femme à la fibre artistique qui nous raconte son combat avec les imprimeurs pour faire de belles étiquettes sur leurs bouteilles. Elle nous raconte son adaptation dans un milieu d’homme, l’époque où sa famille faisait de la polyculture entre raisins et veau. Cette époque où la majorité du raisin était vendu au négoce et que la famille Large se gardait juste une partie pour se faire plaisir, pour apprendre à faire parler le raisin. Sans regret sans amertume cette époque est terminée et depuis c’est son fils David qui a repris l’exploitation familiale. Il règne entre eux un respect mutuel, de la pudeur qu’on voit des Hommes de la Terre. J’aime cette ambiance, je me verrais assise au coin du feu à écouter ses histoires de famille pendant des heures.
15h17: Mon après-midi au coin du feu à siroter une tisane et écouter ses histoires de transmission n’a pas l’air d’être le plan de Benjamin, le Beaujolais est beau, il faut le montrer. David nous embarque dans sa camionnette en direction de ses vignes. Il est temps pour moi de comprendre qui se cache derrière cet homme qui fait des vins émouvants et bouleversants. David a toujours voulu faire du vin il a ça dans le sang, il s’y est repris à deux fois pour reprendre le domaine familiale, une première année vide, rien nada, pas une goutte de vendu mais il n’a pas lâché l’affaire, il apprend de ces erreurs, il remonte en scène va voir ailleurs et revient plus fort et plus déterminé. On n’imagine pas la pression financière, celle qu’il nous raconte à demi-mots .Comme tous ces génies et les virtuoses David maîtrise tout au domaine, il n’est pas seul, il a sa famille mais de la viti à la vinif du choix des étiquettes à l’embouteillage il est là. David est poète, rappeur, boxeur on pourrait dire de lui qu’il est éparpillé mais je parle à un homme passionné, généreux. On discute comme de vieux amis, de Célia qui l’accompagne dans cette aventure aujourd’hui, de ses ateliers dégustations vin et rap donné dans des café-théâtre à Lyon où il arrive à passer du Kaaris et du NTM a des apprentis quinquagénaire en costard cravate épelant le mot Booba ; David est comme ça il relie les gens, il fait du bien à l’âme et surtout il reste droit dans ses bottes, casquette américaine sur la tête.
16h03: Je me sens dans la peau de Karine Lemarchand à parcourir les vignes en discutant des liens de la famille du pouvoir de l’univers et de musique. Le domaine a 5 hectare en bio et de grandes ambitions, du jamais vu depuis des années il plante sur des parcelles arrachées il y’ a plus d’une décennie. Ces dernières années le Beaujolais connait plutôt une période où on arrache mais lui il plante… Du gamay pour le Beaujolais village mais pas que sinon ça serait trop facile lui il plante du Gruner veltliner en vin de France… Il nous raconte son frère, ses liens pudiques mais fraternel qu’ils ont et il nous raconte l’amour que son frère porte au Gruner Veltiner… Coïncidence je ne crois pas.
16h51: On n’est quand même pas venu ici pour se la jouer à l’amour est dans le pré on rentre au caveau et on déguste … enfin … le ventre vide; Dos argenté pour commencer, son beaujolais village blanc fait avec des vignes de presque 30 ans. Moi avec mes certitudes de sommelière je me dis qu’un beaujolais blanc bah c’est du Chardonnay que j’en ai bu et rebu mais rebuvons en encore. Mais quelle claque bordel, comment après autant d’année de métier je peux être encore certaine de tout savoir d’avoir tout bu. Dos argenté c’est ce genre de vin qui te pousse qui te bouscule dans tes certitudes. C’est franc honnête doux comme une danse dans le salon avec votre amoureux après une dispute. Est-ce la faim, l’amour, la reconnaissance de ce moment hors du temps mais j’en veux encore.
17h23: Côte de Brouilly Lieu dit Côte Brouilly , jamais deux sans trois je connais j’en ai déjà bu j’y vais mais j’ai pas peur. J’aurai dû me méfier, prendre plus conscience de ce que je suis en train de goûter j’écoute David me raconter ses poèmes sur ses contres, sa façon de vinifier, de laisser parler le vin et d’en faire le moins possible. J’avais pas vu venir cette vague de chaleur de son Côte de Brouilly, de cette sensation de se réconcilier avec un vieil ami, j’ai des frissons , les larmes aux yeux, je retrouve mes premiers amours du Beaujolais et une gratitude infini devant ce dandy bad boy de savoir écouter ses vins et de nous les offrir.
17h42: On ne se sait pas ce qu’on boit et David non plus à vrai dire. Ça devait être un rosé à la vendange mais le jus en a décidé autrement arrivé au domaine. C’est un vin hommage à ses amis ferrailleurs, un vin clair qui va enfin faire comprendre qu’un vin puissant n’est pas forcément un vin foncé. C’est une bombe en bouche, ça explose, ça mange tes morts, un vin pour des mecs aux nerfs d’acier … une patate de forain quoi. Ca ne s’explique pas ne se décrit pas ça mais ça se partage.
18h03: Il est temps de se quitter … le ventre toujours vide mais le cœur plein de gratitude. J’ai rencontré un mec à la hauteur de ce qu’il met dans ces bouteilles. Un artiste, un frère, un rappeur, un poète, un boxeur, un ami, un petit ami, un vigneron, un homme avec un grand H comme humanité.
Crédit photos: Benjamin Aguirré
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